Little children

Publié le par Nezumi


perrotta.jpg"I have a lover ! I have a lover !"she kept repeating to herself, reveling in the thought as though she were beginning a second puberty. " – FLAUBERT, Madame Bovary


The young mothers were telling each other how tired they were. This was one of their favourite topics, along with the eating, sleeping, and defecating habits of their offspring, the merits of certain local nursery schools, and the difficulty of sticking to an exercise routine. Smiling politely to mask a familiar feeling of desperation, Sarah reminded herself to think like an anthropologist. I’m a researcher studying the behaviour of boring suburban women. I am not a boring suburban woman myself.

Ainsi s'ouvre Little Children, transposition de Madame Bovary dans l'Amérique des Desperate Housewives (le roman est antérieur à la série).

Les sujets d'étude choisis par le romancier américain Tom Perrotta sont quelques habitants d'une petite ville de la côte Est, qui traînent leur insatisfaction, regrets, problèmes conjugaux et rêves d’évasion sur fond de quartiers pavillonnaires plutôt aisés.

Il y a Sarah, ex-féministe, ex-lesbienne, ex-universitaire, se retrouvant mère au foyer à cause d'un « moment de faiblesse ». Richard, son mari plus âgé, publicitaire, de plus en plus captivé par le sexe sur Internet. Todd, père au foyer au physique avantageux , surnommé "The Prom king" par les ménagères du quartier, et qui prépare sans enthousiasme l’examen d’entrée au barreau. Sa femme Kathy, documentariste TV, qui préfèrerait se consacrer à l’éducation de son fils et à ses projets de films personnels. Ronny McGorvey, condamné pour exhibitionnisme et soupçonné de pédophilie, dont la libération va mettre la petite ville en émoi et particulièrement Larry Moon, flic mis en retraite après une bavure.
Alors qu'un été suffocant s'installe, Sarah et Todd entament une liaison.
La description hyperréaliste du milieu dans lequel évoluent ces personnages donne lieu à une satire sociale caustique et réjouissante . Sous le décor propret, familial et paisible de la banlieue, le malaise affleure: la piscine bondée par un jour de canicule qui se vide instantanément à l'arrivée de McGorvey; les jeux des enfants au parc supervisés par l'hystérie perfectionniste des mères; le déchaînement de violence lors des matches de football amateurs nocturnes, où les Flics affrontent les Comptables, dans une parade de muscles gonflés aux stéroides...Le titre du roman lui-même est ambigu, à l'image des enfants de cette histoire, objets de toutes les attentions et craintes, tour à tour angéliques et irritants, tyranniques et vulnérables, petits rois et proies potentielles.

Mais la causticité est adoucie par la sympathie évidente de Perrotta pour ses personnages, qui étudie avec humour mais indulgence leurs sentiments. Par sa romance adultère, Sarah semble être la Madame Bovary annoncée dès les premières lignes du roman, et on peut s'amuser à relever les similitudes entre elle et Emma, de l'amour des livres aux achats inconsidérés, en passant par le mari terne et plus âgé.  Mais le bovarysme concerne à peu près tous les personnages, pris au piège d'une vie ne leur convenant pas, travaillés par leur désir de changement, leurs rêves abandonnés, mais n'osant pas sauter le pas pour entamer une autre existence.
Sarah, ex-étudiante en littérature, est d'ailleurs tout à fait consciente de sa parenté avec l'héroïne de Flaubert.  Elle participe à un club de lecture de housewives qui étudie ce roman (séquence très amusante) et ne tarde pas, à la lumière de ses propres déboires conjugaux et à sa grande surprise, à s'identifier à Emma, qu'elle méprisait auparavant:

"When I read this book back in college , Madame Bovary just seemed like a fool. She marries the wrong man, makes one stupid mistake after another, and pretty much gets what she deserves. But when I read it this time, I just fell in love with her. [...] In her own strange way, Emma Bovary is a feminist. [...] She's trapped. She can either accept a life of misery or struggle against it. She chooses to struggle. [...] She fails in the end but there's something beautiful and heroic in her rebellion."

C'est donc en toute connaissance de cause que Sarah va se livrer à l'ivresse juvénile, périlleuse mais délicieuse de la romance secrète et se croire "something special, one of the lucky ones, a character in a love story with a happy ending" ...


Little Children, Tom Perrotta, 2004, St Martin's Paperbacks, 2006, 319 p.

Ce roman a été traduit en français sous le titre Les Enfants de Choeur, et adapté au cinéma par Todd Field (avec Kate Winslet dans le rôle de Sarah): Fiche IMDB

Publié dans Romans

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Bonjour,<br /> <br /> Je réponds à votre commentaire un peu tard, désolée, mais le retard est devenu la marque de fabrique de ce blog, n'est-ce pas ;-) ?<br /> C'est après avoir loupé le film de Todd Field, que j'ai lu le livre, trouvé un peu par hasard en librairie. Je vous le conseille vraiment, en anglais ou dans sa traduction française (pas mal) "Les Enfants de choeur".
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Bonjour,<br /> <br /> Content de vous relire après... quelque temps ! (j'ai bien cherché, il n'y avait pas de panneau sur la devanture de la boulangerie Nezumi-Pollanno, "changement de propriétaire", "fermé pour les élections"...)<br /> <br /> Si je comprends bien, "Little Children" aurait pu s'appeler "Le poids des Secrets" ;-)<br /> <br /> C'est amusant, les Russes sont peut-être plus directement violents, quand ils bovarisent, ça donne "Lady Macbeth de Mzensk" ( http://en.wikipedia.org/wiki/Lady_Macbeth_%28Leskov%29 ). <br /> <br /> Finalement, ça me fait un peu regretter de n'être pas allé voir le film de Todd Field...<br /> <br /> Xavier
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